Google condamné par la justice américaine pour pratique anticoncurrentielle

Daniel Vinet
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Après neuf mois de procès, le 5 août dernier, le département de la justice étasunienne (DoJ) rendait un jugement de culpabilité à l’encontre de Google concernant des pratiques visant à imposer son moteur de recherche, violant ainsi la Loi anti-monopole.

Toute cette affaire a débuté en octobre 2020. L’Office of Public Affairs du DoJ, appuyé par les procureurs généraux de 11 états, déposait une plainte à ce sujet en vue d’un procès. Ce dernier a débuté en septembre 2023 pour se conclure en août 2024.

Jouissant d’une position dominante à environ 92%, le moteur de recherche Google s’est initialement imposé par sa rapidité et la qualité de ses résultats. Toutefois, l’appât du gain faisant son œuvre, Google a profité de sa position afin d’étouffer les concurrents et nuire aux consommateurs par le biais d’accords d’exclusions visant essentiellement le volet publicitaire.

Entre autres, il est question d’une somme d’environ 18 milliards de dollars que Google verse annuellement à Apple afin que ce dernier utilise Google comme moteur de recherche par défaut sur son navigateur Safari pour ses appareils. Ceci n’est pas très juste pour les autres qui ne peuvent concurrencer à ce niveau.

Le Sherman Act

Voté le 2 juillet 1890, le Sherman Act est la loi visant à limiter les pratiques anticoncurrentielles. Cette loi porte le nom du sénateur John Sherman qui s’était élevé contre ce genre de pratique, l’idée étant que si les États-Unis ne veulent pas d’un roi, il n’est pas question de laisser les entreprises privées le devenir sur le territoire étasunien.

Une controverse existe en ce qui concerne la création de cette loi, une forme de vengeance entre sénateurs, soit Sherman contre le sénateur Russel Alexander Alger qui allait se positionner en monopole du marché des…. allumettes aux États-Unis, eh oui, vous avez bien lu.

Néanmoins, cette loi a été régulièrement utilisée au fil de l’histoire américaine. Par exemple, contre la Standard Oil en 1906, la British American Tobacco en 1911, AT&T en 1974 et Microsoft en 1998.

L’Union européenne, le Digital Service Act et le Digital Market Act

Ces dernières années, l’Union européenne (U.E.) s’est dotée de deux règlements visant l’encadrement des géants technologiques, le Digital Market Act (DMA), puis celui mettant à jour le cadre juridique de l’U.E. à l’ère du numérique et du commerce électronique, le Digital Service Act (DSA). Fort de ses deux Lois, L’U.E. s’est mise à la chasse juridique contre les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).

Les GAFAM dans la mire

Il y a un moment que les GAFAM sont dans la mire de la justice un peu partout en occident au sujet des pratiques monopolistiques. Faisons un survol pour chacune de ses entreprises.

Concernant Apple

Apple a eu quelques démêlés avec la justice européenne. Dans un premier temps, en décembre 2022, l’Union européenne a forcé les compagnies productrices de téléphones intelligents, mais elle visait surtout Apple, à utiliser un chargeur avec connexion USB de type C sur ces appareils dont les iPhone réputés pour avoir un connecteur unique. Les entreprises ont deux ans pour opérer le changement, ce qui se termine en décembre cette année.

Dans la même foulée, Apple a également fait l’objet d’une autre poursuite en Europe pour position dominante avec son App Store, ne laissant place à aucun concurrent. Apple a été condamné et se doit d’ouvrir l’acquisition d’applications à d’autres magasins. Il faut savoir que plusieurs développeurs sont heureux de ce dénouement, car Apple prend une cote de 30% en échange de ses services de vérification et de magasin, ce qui est plutôt élevé.

En juin dernier, la Commission européenne déposait son rapport d’enquête à l’effet qu’Apple n’est toujours pas conforme au DMA.

Outre-Atlantique, les amendes peuvent être assez salées. On parle ici de 6% à 20% du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise condamnée. Pour 2021, le chiffre d’affaires mondial d’Apple était de 394 milliards de dollars… faites le calcul !

D’un autre côté, le DoJ, accompagné de 16 états, a déposé une poursuite contre Apple en mars dernier pour maintien illégal d’une position monopolistique sur les téléphones intelligents en imposant de manière sélective des restrictions contractuelles aux développeurs.

Concernant Facebook (Meta)

Facebook, maintenant Meta, a également fait l’objet de quelques poursuites du DoJ, dont deux en décembre 2020, puis en juin 2023 pour pratique discriminative d’embauche. Pour les autres, vous en trouverez une liste ici.

Concernant Amazon

Amazon a été poursuivie à quelques reprises par le DoJ et la Federal Trade Commission (FTC), la dernière étant en septembre 2023 avec 17 états pour pratique monopolistique pour avoir profité de sa position dominante afin de manipuler les prix et augmenter les coûts des revendeurs.

Concernant Microsoft

Les plus vieux informaticiens d’entre nous se souviendront assurément de la poursuite retentissante du FTC en 1998 contre Microsoft pour pratique monopolistique concernant son navigateur Internet Explorer qui jouissait alors d’une position dominante sur le marché étant intégré au système d’exploitation Windows 98.

À l’époque il a même été question de segmenter Microsoft en différentes entités, comme il avait été fait pour AT&T à l’époque. Évidemment, Microsoft en a appelé de la décision pour terminer par un accord où l’entité Microsoft demeurait intacte. Reste à savoir ce que Microsoft a réellement donné en échange de cette préservation.

Au fil de son histoire, Microsoft a été la cible de plusieurs poursuites, tant du gouvernement étasunien qu’européen. Disons que l’entreprise n’a pas bonne réputation parmi les informaticiens de par ses pratiques d’affaires très, voire trop agressives. Je me souviens d’une époque où la maxime était: « Si Microsoft s’intéresse à ton domaine, change de domaine. » Ça en dit long.

La suite pour Google

Bien que Google ait été condamné, aucune sentence n’a encore été prononcée. Encore une fois, les rumeurs vont bon train de l’autre côté de la frontière allant jusqu’au démantèlement. Bien entendu, Google ne se laissera pas faire et compte interjeter appel de la décision.

Une chose est certaine, nous ne pouvons que constater la place dominante que peuvent occuper ces entreprises que nous nommons GAFAM ou Big Tech. À ce titre, il devient parfois difficile de trouver des alternatives pour répondre à nos besoins. Néanmoins, ceux-ci existent entre autres pour les moteurs de recherche. D’ailleurs, je vous ferai une présentation au Club à ce sujet, le 2 octobre prochain.

Daniel Vinet

10 réflexions sur « Google condamné par la justice américaine pour pratique anticoncurrentielle »

  1. Récemment, la commission que prélèvent autant Google qu’Apple sur les applications développées par des entités dont le chiffre d’affaires est de moins d’un million de dollars (par année) a été réduite à 15%. C’est un peu comme pour les taux d’imposition gouvernementaux, qui augmentent par palier selon les revenus.

  2. Daniel, superbe recherche et article sur le sujet !

    DOJ et 11 états c. GOOGLE: ARKANSAS, FLORIDA, GEORGIA, INDIANA, KENTUCKY, LOUISIANA, MISSISSIPPI, MISSOURI, MONTANA

    DOJ et 16 états c. APPLE: DISTRICT OF COLUMBIA, NEW JERSEY, ARIZONA, CALIFORNIA, CONNECTICUT, MAINE, MICHIGAN, MINNESOTA, NEW HAMPSHIRE, NEW YORK, NORTH DAKOTA, OKLAHOMA, OREGON, TENNESSEE, VERMONT, WISCONSIN

    Des états importants sont absents avec le DOJ notamment : TEXAS, NORTH CAROLINA, SOUTH CAROLINA. Or certains états ont leurs propres poursuites, notamment La Florida contre Google qui a obtenu en 2023 quelques 700 millions $ dans sa poursuite anti-concurrentielle.
    Attorney General Moody Secures $700 Million From Google over Play Store Misconduct | My Florida Legal

    Pour le Canada, il faut noter que sans aucune gêne Google a déposé le 24 avril 2024 une requête à la Cour fédérale du Canada. Google affirme que ces revenus proviennent du contenu généré par les utilisateurs. Selon l’entreprise, cela devrait être exclu du calcul des frais en raison des exemptions prévues dans la Loi sur la radiodiffusion.

    https://www.lapresse.ca/affaires/2024-05-06/revenus-publicitaires/google-poursuit-le-crtc-pour-s-exempter-de-certains-frais-reglementaires.php

    Il y a ou il y aura d’autres poursuites canadiennes !

  3. J’ai hâte de voir ta présentation sur les autres moteurs de recherche, Daniel. Par habitude et paresse, je ne me décide jamais à en essayer de nouveaux.

    1. Bonjour Céline et merci de ton commentaire. J’ai bien hâte de la faire, cette présentation. Au plaisir.

  4. Qu’est-ce qui arrive avec les démêlés du Canada et les GAFA ? Nous, les citoyens ne pouvons plus partager certaines publications et je n’ai pas entendu quoique ce soit en ce qui concerne la suite des choses…

    1. Bonjour Mme Martin. De ce que j’en comprends de la Loi C-18, la réaction des Big Techs a été un blocage des médias canadiens, Google et Meta en tête. Bref, ils n’autorisent pas un relais d’information venant des médias canadiens afin de ne pas avoir à payer de redevances. Un dossier à suivre. Merci pour votre commentaire.

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