Un pan de l’histoire de l’informatique de réseau au Québec
Je désire partager des événements et me remémorer des souvenirs en lien avec le projet de la première loterie informatisée en ligne au monde en 1978, par Loto-Québec.
Je vous raconterai donc des choses particulières et inédites dont je fus témoin et acteur entre 1977 et 1980.
Il faut savoir qu’à l’époque, je travaillais à Bell Canada comme directeur de secteur responsable DATA (réseaux de transmission de données) des comptes gouvernementaux et paragouvernementaux, incluant le ministère des Communications du Québec, tous les ministères, Hydro-Québec, les universités, les Cégeps, Loto-Québec, les hôpitaux, etc.
Mon bureau était à Québec et je dirigeais deux équipes (vente et administration) localisées à Québec et Montréal. J’avais mes entrées officielles à tous les niveaux un peu partout, notamment aux bureaux de sous-ministres, de présidents, de vice-présidents et de directeurs informatiques.
Revenons plus spécifiquement à Loto-Québec. Face à la compétition du nouveau Loto Canada, Loto-Québec lança en 1977 un appel d’offres de toute urgence pour la fourniture de 2000 terminaux en ligne pour la province de Québec. La société américaine Datatrol Inc. de Providence, Rhode Island, fut sélectionnée. Il s’agissait d’une des firmes avec laquelle j’avais pris contact au nom de Bell comme partie intéressée et que j’avais visitée pendant le processus d’appel d’offres pour la fourniture de terminaux.
À cette époque, les politiciens et hauts fonctionnaires se mettaient le nez dans cette affaire au grand dam de Loto-Québec. Des sujets comme un petit pourcentage de travail pour l’assemblage des terminaux au Québec par des PME naissantes et l’intervention de hauts fonctionnaires mettaient en jeu l’autonomie de Loto-Québec.
Ceci pendant que Loto-Québec se débattait contre les stratégies canadiennes, c’est-à-dire Loto Canada qui ambitionnait une prise de contrôle des loteries en ligne au Canada en signant d’avance des ententes exclusives avec des marchands aux points de vente concurrents et la mise en place d’un système national.
L’Ontario suivit peu après avec une stratégie semblable en collaboration avec Loto-Québec. Les Maritimes emboîtèrent le pas rapidement ensuite.
Datatrol avait remporté en 1976 un contrat pour la mise en place du premier système de loterie en ligne (que j’ai visité !) au Michigan, aux États-Unis.
Il faut savoir que le Michigan et le Québec exploitaient déjà chacun un système de loterie qui n’était pas en ligne avec leurs propres marchands aux points de vente.
Mais le premier système de loterie au monde en ligne fut installé au Québec en 1978. Et par la suite, Datatrol Inc devient GTECH, le plus grand fournisseur de systèmes de loterie en ligne au monde.
Au départ, dans les premières années d’exploitation, le premier système informatique central fonctionnait avec des logiciels et une base de données sur un système de mini-ordinateurs redondants composé de deux PDP-11 en mode d’enregistrement en miroir et d’une génératrice à démarrage automatique en cas de panne électrique. Les PDP-11 étaient des mini-ordinateurs 16 bits de Digital Equipment Corporation (DEC) des années 70. Le système était installé dans l’édifice du siège social de Loto-Québec, alors situé sur la rue Ontario au coin des rues Ontario et Berri, à Montréal. Le système actuel est sûrement très différent !
Avec mes équipes, j’ai participé à un appel d’offres distinct de Loto-Québec pour relier, par réseau de communications informatiques à grande portée, 2000 terminaux localisés dans les points de vente de commerçants de la province de Québec (50% dans la grande région de Montréal) au centre informatique de Montréal de Loto-Québec. L’objectif de Loto-Québec était d’introduire très rapidement, en douze mois, la première loterie informatisée en ligne 6/36.
En même temps que ce projet, Loto Canada débutait l’installation de son nouveau système de terminaux chez des commerçants concurrents. À cause de la stratégie de Loto-Québec, de son partenariat avec Ontario Lottery et Atlantic Lottery ainsi que sa célérité compétitive, la bataille fédérale-provinciale fut gagnée par les provinces dans lesquelles Loto-Québec fut le pilote en chef. Loto Canada se retira du marché, laissant la voie aux provinces.
À l’époque, au niveau des réseaux de transmission de données, c’était une compétition duopole DATA entre Bell et CNCP Télécommunications. Avec l’aide de mon équipe, nous avons conçu et remporté l’appel d’offres réseau DATA en proposant de relier les 2000 terminaux par l’entremise d’environ 150 circuits privés dédiés multipoints à 1200 bits par seconde, rattachant en moyenne 13 dépanneurs par circuit.
Sous la coordination de Bell et le soutien des compagnies de téléphone Télébec et Québec-Téléphone, maintenant Telus Québec, le défi d’installer un réseau de 2000 terminaux au Québec en douze mois fut relevé et réussi !
Au cours d’une période initiale de six mois, Loto-Québec, avec la collaboration de Datatrol, avait confié à la fois l’assemblage et l’entretien des terminaux à une PME québécoise qui déléguait le service d’entretien des terminaux installés à travers la province de Québec à de nouveaux employés ou de petits entrepreneurs. Le recrutement des ressources en région présentait un grand problème.
Par surcroît, au cours des premiers mois d’installation, les terminaux Datatrol se révélèrent peu fiables avec un temps moyen entre pannes (MTBF – Mean Time Between Failures) d’environ deux semaines ! Le scénario de 4000 réparations par mois était inimaginable par Loto-Québec en même temps que les problèmes de ressources en région !
Entretemps, j’ai initié un contact avec un ami dirigeant chez Northern Telecom, par la suite devenue Nortel, pour s’assurer de leur expertise en électronique et la formation d’un partenariat éventuel. J’ai aussi suscité un intérêt pour la maintenance de terminaux Datatrol avec mes contreparties chez Québec-Téléphone et Télébec. Ceci tout en informant Loto-Québec de mes démarches !
Je me souviens aussi d’une réunion avec feu Gaston Beauséjour, sous-ministre adjoint aux communications à son bureau du Complexe G à Québec ! Lors de cette rencontre privée, c’est avec plaisir que j’ai souligné clairement que les compagnies de téléphone de l’époque étaient de facto en position unique pour fournir un service d’entretien provincial à la hauteur des attentes de Loto-Québec.
Finalement, peu de temps après, Loto-Québec a lancé un appel d’offres pour l’entretien des 2000 terminaux Datatrol. Le consortium Bell, Northern Telecom, Télébec et Québec-Téléphone remporta l’appel d’offres. Le tout se fit avec le soutien bienveillant de Datatrol.
En 1979, un contrat d’entretien annuel renouvelable de trois ans de plus d’un million de dollars par année fut accordé au consortium mentionné au paragraphe précédent. Ce montant était en sus des factures mensuelles pour le réseau provincial de transmission de données.
La rédaction et la négociation du contenu de ce contrat d’entretien des terminaux furent sous ma responsabilité. Je vous assure que ce ne fut pas simple de concilier les parties pour en arriver au moment de la signature officielle. Mais, j’ai eu le plaisir d’avoir une rencontre privée avec chacun des présidents des parties pour la signature du contrat vérifié au préalable pour la forme par les avocats de chaque entreprise.
Et le tout fut signé séparément en ma présence par feu Léonce Montambault, président de Bell, Jean C. Monty, président de Télébec, le président de Québec-Téléphone et le directeur principal responsable chez Northern Telecom. Une rencontre privée eut lieu avec le président de Loto-Québec, Me Jean-Marc Lafaille, intronisé au Lottery Industry Hall of Fame. Aux dernières nouvelles, Me Lafaille vit en Belgique et visite le Québec périodiquement.
Au cours de 1979, je rencontrais toutes les semaines le vice-président informatique alors en poste, et maintenant décédé, mon ami Richard Lecompte, ainsi que le directeur informatique d’alors. Après Loto-Québec, Richard s’est joint comme haut fonctionnaire à la Ville de Montréal.
Le terminal Datatrol comportait des faiblesses notamment avec ses trois blocs d’alimentation séparés pour l’imprimante, le numériseur et le reste de l’appareil. Des améliorations furent apportées par Nortel et Bell en collaboration avec le manufacturier Datatrol. Des résultats probants s’en suivirent graduellement avec un MTBF des terminaux passant de 15 jours à 120 jours en moins de six mois.
Il me faut accorder un immense crédit aux efforts de tous les groupes de techniciens de chaque membre du consortium autant pour l’installation réseau que pour l’entretien et l’amélioration des terminaux !
S’en suivirent environ six années heureuses et stables entre le client, Loto-Québec, et le consortium des compagnies de téléphone pour le réseau lui-même ainsi que celui pour l’entretien des terminaux. La vie fut Bell(e) et Loto-Québec, heureuse !
De nos jours, le réseau a beaucoup changé ainsi que les terminaux. Les Datatrol furent remplacés par d’autres marques et modèles de terminaux. Après tant d’années, il fallait faire face au vieillissement des appareils, à la multiplication des produits en ligne et à l’augmentation incroyable des transactions de loteries. De nos jours, je n’ai pu vérifier en détail où ils en sont au point de vue du réseau et des terminaux, car j’ai perdu tous mes contacts depuis cette époque !
Les loteries sont présentes dans presque tous les pays du monde. Loto-Québec peut s’enorgueillir d’avoir introduit la première loterie informatisée en ligne au monde en 1978. Elle fait partie du trio financier de l’état québécois : Loto-Québec, SAQ et Hydro-Québec.
Robert Lapointe
Wow! J’ai bien aimé te lire, j’ai beaucoup appris sur cette Loterie Québécoise…
Salut Robert. Ton expérience variée m’impressionne à chaque fois. Merci de partager cette histoire vécue d’informatisation à grande échelle. Toujours un plaisir de te lire.
Merci à tous pour vos bons mots !
On retrouve sur le site actuel Loto-Québec, 4 lignes d’écriture pour l’année 1978 ! https://societe.lotoquebec.com/fr/societe/historique
Vers 1978 fut une période trépidante ! Je me souviens de presque avoir perdu la boule lorsque j’ai répondu à un appel d’offres par écrit moi-même pendant 36 heures consécutives ! Les textes devant être révisés dans les 24 heures suivantes.
Et je remercie mon épouse d’avoir fourni son soutien durant cette période intense.
Wow! Je ne savais pas que Loto-Québec fut l’innovateur de la 1ere loterie en ligne.
Quelle belle autobiographie (sûrement non exhaustif ) professionnelle, Robert. Merci pour ce « documentaire ».
Merci pour ces précieuses informations. Votre expérience et savoir faire, jumelées à vos connaissances de l’informatique, sont une source de renseignements inestimables.
Vous avez de quoi être fier de cette avancée pour notre
Belle Province. Merci pour ce pan de notre histoire.
Bonjour Robert Lapointe,
Merci de partager avec nous ce beau récit de votre aventure Loto-Québec et votre carrière chez Bell Canada. Dans cette description on peut apprécier le plaisir que vous avez eu à le vivre et l’écrire. Félicitations pour tous vos accomplissements.
Robert Bujold – ex directeur de secteur chez Bell Canada
Merci pour ce partage très intéressant de notre histoire. Félicitation à vous et à toutes les personnes qui ont contribuer.
Merci je partage les points de vue de mes collègues, de plus ce que vous avez fait avec vos partenaires cela impose le respect.