Les flops d’Apple

Daniel Vinet
mmmDaniel Vinet

À voir le succès que remporte Apple actuellement, il est difficile de croire que la compagnie ait effectué de mauvais choix d’affaires. Et pourtant, si.

Il fut même une époque où Apple était pratiquement en faillite. Je vous propose un petit tour d’horizon de la firme à la pomme dans ses heures sombres.

1983 – Le Lisa d’Apple

Le 19 janvier 1983, Apple lança ce qui allait être le précurseur du Macintosh, soit le Lisa d’Apple, nommé en l’honneur de la fille de Steve Jobs. Lisa Brennan-Jobs. Toutefois, ce n’est que plus tard dans l’histoire que Jobs reconnut ce fait, car officiellement, lors du lancement, Apple présentait le nom Lisa comme un acronyme de « Local Integrated Software Architecture ».

Cet appareil est considéré comme le premier ordinateur à interface graphique et souris produit pour le grand public. D’ailleurs, cette interface graphique était fortement inspirée des stations de travail Xerox. À ce titre, je vous renvoie à cet article de ma série sur les interfaces graphiques concernant ce volet de l’histoire.

Apple Lisa

Le Lisa était livré clé en main avec un écran intégré, une souris, un clavier, deux lecteurs de disquettes 5,25 pouces et un système d’exploitation graphique doté de quelques logiciels de base. L’appareil était équipé du processeur Motorola 68000 à 5 MHz et d’un mégaoctet de mémoire vive (RAM).

Cependant, à un prix de lancement de 9 995$ US, soit l’équivalent de 29 400$ en dollars d’aujourd’hui, il est clair que le coût était beaucoup trop élevé pour l’époque. Comme nous le verrons, il s’agit d’une erreur fréquente chez Apple. Cette erreur fut fatale pour le Lisa. Apple cessa la production un an plus tard, à la sortie du premier Macintosh, lancé au quart du prix.

1993 – Le Newton MessagePad

Annoncé en mai 1992, le Apple Newton MessagePad fut lancé en août 1993, soit 14 mois plus tard. Bien que le concept n’était pas nouveau, la compagnie Psion ayant produit l’Organizer dès 1984, le Newton introduisait dans nos mœurs le concept d’assistant numérique personnel.

Reflétant la technologie disponible à l’époque, l’appareil était plutôt volumineux. Pour sûr, le Newton ne pouvait entrer dans la poche d’une chemise ou d’un pantalon.

Le Newton (1993) versus un iPhone (2007)

Le Newton offrait une bonne panoplie d’applications dont la prise de note, un calendrier, un agenda et une calculatrice. De plus, l’appareil reconnaissait l’écriture manuscrite, disons plus mal que bien. D’ailleurs, cette technologie, nommée Inkwell, ne cessa d’évoluer et fut portée au système d’exploitation Mac OS X 10.2 Jaguar en 2002.

Par ailleurs, le système d’exploitation du Newton était offert sous licence à d’autres constructeurs. Ainsi, Motorola, Sharp, Siemens et d’autres entreprises ont créé des appareils de type Newton.

Encore une fois, un prix jugé trop élevé à 700$ US pour l’époque, soit environ 1 130$ en dollars d’aujourd’hui, une taille encombrante et une reconnaissance manuscrite plutôt défaillante ont miné son succès. D’un autre côté, disons que les critiques n’ont pas été très élogieuses en ce qui concerne la performance de l’appareil censé nous aider, pas nous nuire.

Le projet a tout de même vécu jusqu’en 1998. L’appareil a connu une certaine popularité dans le monde médical. Cependant, la concurrence du Palm Pilot de la firme éponyme qui offrait un appareil plus compact et à bien meilleur prix a eu raison du marché.

Toutefois, sachez que ce projet n’a pas été vain, puisqu’il a tracé la voie pour les futurs iPhone et iPad que nous utilisons aujourd’hui.

1993 – Le Macintosh TV

Le Macintosh TV fut le premier ordinateur à intégrer un syntonisateur télé et à permettre l’écoute de la télévision traditionnelle au format NTSC, le standard de codage télé nord-américain.  Notez qu’il n’est pas possible de l’utiliser dans les deux modes en même temps, soit l’ordinateur et la télé.

Macintosh TV

Son coût élevé de 2 079$ US, la puissance relativement faible par rapport aux autres Macintosh produits à la même période, le tout combiné à une faible capacité d’en améliorer les capacités ont eu raison du produit.

Seules 10 000 unités ont été produites. Apple abandonna le projet dès l’année suivante, en 1994.

1994 – Le Apple Interactive Television Box (AITB)

Ici, il s’agit d’un produit qui, au final, n’a pas été commercialisé. Le Apple Interractive Television Box avait été développé en partenariat avec l’entreprise britannique British Telecom et le groupe belge Belgacom devenu Proximus Group. Il permettait une interaction entre les chaînes de télé et le consommateur, ce dernier pouvant choisir le contenu à écouter, un peu du même genre que nous utilisons aujourd’hui, Internet en moins. Le tout devait fonctionner par abonnements.

Apple Interactive Television Box (AITB)

Des prototypes ont été testés à grande échelle aux États-Unis et en Europe en 1994 et 1995, puis le projet a été abandonné sans avoir été commercialisé. Les raisons semblent tourner autour des infrastructures requises pour gérer les abonnements. Je crois que la technologie de l’époque n’était tout simplement pas suffisante pour ce genre de projet qui semble avoir été manifestement en avance sur son temps.

1994 – La caméra numérique QuickTake 100

Avant même le premier iPhone, Apple a tâté le monde de la photo numérique dès 1994 avec le Apple QuickTake développé en partenariat avec Kodak. Trois modèles ont été produits, soit le 100, le 150 et le 200.

Bien que l’idée était bonne, Apple se buta aux Fujifilm, Canon et Nikon de ce monde. Les ventes n’étaient pas au rendez-vous. Apple se retira du marché en 1997 peu après le retour de Steve Jobs chez Apple.

1996 – La console de jeu Apple Pippin

Apple a également tâté l’univers du jeu vidéo bien avant le Game Center et l’Apple Arcade. Peu de gens se souviennent de cette console Apple commercialisée par Bandai. Celle-ci innovait en combinant un ordinateur à une console de jeu. La Pippin était basée sur le Macintosh et était équipée du même processeur, soit un PowerPC. Le nom Pippin vient d’une variété de pommes américaine de la fin du 17e siècle.

Apple Pippin commercialisé sous Bandai Atmark

En fait, Apple n’a jamais eu l’intention de sortir la console seule, mais plutôt d’en faire une norme ouverte de divertissement à domicile. L’idée maîtresse était de vendre sous licence le concept qui serait commercialisé par d’autres entreprises.

Il faut savoir que nous sommes à l’époque où Apple avait permis la création de clones Macintosh, c’est-à-dire des Mac fabriqués par d’autres compagnies qu’Apple.

Lorsque Steve Jobs revint chez Apple en 1997, il mit fin à tout clone de Macintosh, ce qui mit également fin au projet Pippin. De plus, Apple n’avait vendu que 42 000 unités, ce qui est loin d’un succès commercial.

1997 – L’année où Microsoft sauva Apple de la faillite

Croyez-le ou non, Apple a frôlé la faillite. Au moment où celle-ci procédait à l’acquisition de NeXT, la société fondée par Steve Jobs suivant son renvoi d’Apple. Cette dernière était à 90 jours de déposer le bilan et avait procédé au licenciement d’un tiers de ses employés. L’acquisition de NeXT par Apple et le rapatriement de Jobs était l’ultime tentative pour sauver l’entreprise.

C’est alors que survint l’impensable. En août 1997, Steve Jobs négocia un investissement de 150 millions de dollars américains avec Bill Gates, avec des actions sans droit de vote en plus d’obtenir de Microsoft qu’elle produirait sa suite bureautique Microsoft Office sur Macintosh pour les 5 prochaines années. En plus, Microsoft allait offrir son navigateur Internet Explorer sur Mac. Le vidéo suivant est un extrait de la conférence donnée par Steve Jobs annonçant le partenariat. Écoutez la réaction de la foule dans ce court 12 minutes, c’est savoureux de voir l’accueil qu’elle réserve à Bill Gates.

1997 – Le Macintosh 20e anniversaire

Afin de célébrer les 20 ans de l’entreprise en 1997, Apple lançait le Macintosh 20e Anniversaire, surnommé TAM. Conçu par le designer en chef qui a une longue histoire avec Apple, Jonathan Ive, cet appareil présentait une facture futuriste.

Le Macintosh 20e Anniversaire

Des 12 000 exemplaires produits, 11 601 unités se sont vendues, d’abord à cause du prix trop élevé, soit 7 500$ à son lancement, puis d’un processeur de puissance insuffisante.

Moins d’un an après son lancement, il était possible d’en acquérir un à 2 000$. Fait à noter en sa faveur, l’ordinateur venait avec un haut-parleur de marque Bose d’une qualité sonore impressionnante pour l’époque. L’appareil fut discontinué en 1998, soit un an après son lancement.

1997 – Le Apple eMate 300

En mars 1997, Apple lança un nouvel assistant numérique personnel, nommé le eMate 300. Dérivé du Newton que nous avons vu précédemment, celui-ci avait davantage l’allure d’un ordinateur portable. Il offrait un écran tactile au cristal liquide, une résolution de 480 par 320 pixels, un stylet et un clavier complet. De plus, la panoplie d’applications était assez intéressante. En plus des applications du Newton, un logiciel de traitement de texte, un tableur, un logiciel de dessin et un logiciel de communication via un modem intégré équipaient l’appareil. Le eMate 300 visait le milieu scolaire.

Le Apple eMate 300

L’appareil était doté d’une pile rechargeable qui offrait jusqu’à 28 heures d’autonomie, plutôt impressionnant pour l’époque.

Bien que le eMate 300 était une superbe idée, ce dernier passa au tordeur en même temps que le Newton, discontinué au début de 1998, soit 11 mois après sa sortie.

Il faut savoir qu’au retour de Jobs chez Apple, ce denier mit la hache dans plusieurs produits et projets en développement afin de se concentrer sur la mission première, produire des ordinateurs innovants pouvant redresser la situation financière d’Apple.

2000 – Le Power Mac G4 Cube

Le 19 juillet 2000, Apple présenta le Power Mac G4 Cube au design, vous l’aurez deviné, d’un cube. Encensé par certaines critiques pour son design, d’autres le comparaient au cube Borg de la série télévisée Star Trek ou encore à une boîte de papier mouchoir. Cette dernière remarque fit rire Jonathan Ive à la tête de l’équipe de design chez Apple qui utilisa des pièces restantes, produites pour l’ordinateur, afin d’en faire de réelles boîtes de Kleenex.

Le Power Mac G4 Cube

À 1 800$ US, l’ordinateur fut rapidement critiqué pour son prix, encore une fois, trop élevé en rapport à ses caractéristiques techniques jugées limitées ainsi que l’impossibilité d’expansions, ce qui est une aberration pour la clientèle exigeante, visée par cette catégorie d’appareil.

D’un autre côté, plusieurs utilisateurs ont noté des fissures dans le plastique du cube. Celles-ci seraient issues du procédé d’injection de plastique moulé, écorchant au passage la réputation d’Apple concernant la qualité généralement irréprochable de ses produits.

Avec seulement 150 000 unités vendues, le projet fut abandonné l’année suivant son lancement.

2013 – Le Mac Pro cylindrique

Finalement, en 2013, Apple lança ce qui allait être le dernier flop en liste, soit le Mac Pro, dit « le cylindre ». Ici, nous avons le parfait exemple de dichotomie entre le design et la fonctionnalité. Les Mac Pro sont des ordinateurs destinés à une clientèle exigeante, souvent en entreprise, qui nécessite des performances supérieures et des possibilités d’expansions. Le cylindre est tout le contraire pour cette clientèle.

Le Mac Pro cylindrique

Certaines critiques du milieu l’ont affublé de divers noms affectueux, du genre la poubelle (Trash can), le cuiseur de riz (Rice cooker) ou R2-D2 de la série de films à succès La Guerre des Étoiles. Cet appareil avait été tellement orienté sur la compacité de son design qu’il était impossible de l’adapter aux évolutions technologiques, ce qui fait que l’appareil ne subit aucune mise à jour en 3 ans.

En 2017, Apple reconnaissait avoir fait un faux pas avec ce modèle de Mac Pro et promis le retour des Mac Pro expansibles.

Voilà qui fait un tour d’horizon des principaux flops d’Apple. Comme vous pouvez le voir, il y en a plusieurs. De là, nous pouvons nous remémorer la phrase de sagesse suivante; « L’important n’est pas d’échouer, mais de se relever à chaque fois, car de l’échec naît un apprentissage ».

Daniel Vinet

20 réflexions sur « Les flops d’Apple »

  1. Daniel, super article et voici ma contribution comme valeur ajoutée !

    Microsoft sauva Apple en 1997 et oui la suite Office fut supportée rapidement. Ceci bien après que leur principal conflit juridique fut réglé en cour vers 1995 avec décision favorable du juge envers Microsoft.

    Gates avait compris d’une part que Apple n’irait nulle part sans la suite Office de Microsoft pour vendre ses ordinateurs Apple. Et Microsoft avait une stratégie d’évitement de problèmes avec le Department Of Justice et la peur d’un démantèlement suite à une poursuite antitrust. Et Apple avait besoin d’argent et d’un investisseur !

    Il faut se demander pourquoi Gates a acheté 150 millions $ d’actions SANS DROIT au lieu d’acheter des actions publiques AVEC droit. La réponse serait de montrer un bon comportement corporatif FAIR.

    Ces actions qu’il a vendu peu de temps après 2001 (avec bon profit) ! Tout ceci après que le DOJ imposa en 2001 à Microsoft une peine minimale pour un comportement antitrust.

    Le bon copinage avec Apple (les investissements évitant la faillite, et MS Office sur les ordinateurs Apple) a permis Microsoft d’éviter un démantèlement et l’obtention d’une petite tape sur les doigts.

    Pour Microsoft et Apple c’était un WIN WIN entre les deux vieux copains Bill et Steve.

    Voilà ma compréhension des stratégies et tactiques historiques ! Et beaucoup d’articles furent écrits sur ce sujet.

    1. Bonjour Robert. Excellent commentaire. Ma question actuellement est la suivante; Microsoft étant devenue Béhémoth mondialement, pourquoi ne fait-elle pas l’objet, aujourd’hui, d’une étude antitrust? Sans virer dans la conspiration, je crois qu’il y a entente entre les diverses officines gouvernementales américaines et Microsoft et qu’au final, ça sert les deux, WIN-WIN, comme tu dis ;-).

      1. Voici à mon avis la principale raison pour laquelle les organismes de règlementation américains ne démantèlent pas et n’affaiblissent pas Microsoft (la même raison explique aussi pourquoi ils ne touchent pas non plus aux autres géants numériques américains) : Les organismes de règlementation sont nationaux (et non mondiaux). Lorsqu’ils appliquent les lois antitrust, ils le font en considérant les avantages et les inconvénients pour leur pays et non pour le monde entier. Microsoft génère à l’extérieur des États-Unis des profits qui enrichissent les Américains. L’organisme de règlementation américain considère probablement que les profits générés hors des États-Unis sont supérieurs aux désavantages causés par Microsoft aux États-Unis et ils ont décidé de ne pas tuer la poule aux œufs d’or.

  2. J’étais au MacWorld à Boston en 1997. On s’attendait à la faillite d’Apple … On ne s’attendait surtout pas qu’oncle Bill vienne sauver notre chère pomme. L’annonce a été faite sur le site du MacWorld. Un moment marquant dans ma vie. J’utilise les produits de la pomme depuis 1986. J’ai utilisé des produits «flop» comme le Newton et la QuickTake (un produit toutefois très utile, en éducation).
    Merci pour ce résumé de l’histoire d’Apple. J’apprécie.

    1. Bonjour M. Lacroix. Merci de votre commentaire, j’apprécie beaucoup et merci de ce partage, un moment que j’aurais aimé vivre.

  3. En effet, Daniel! Qui ne risque rien n’a rien! MAIS, il faut avoir les reins solides pour risquer aussi gros. À quelque part, la venue des iPhone était un autre gros risque, devant la supériorité d’alors des BlackBerry. Il faut penser « en-dehors de la boîte » pour prendre de l’expansion, mais il ne faut pas renier son créneau de base. Il y a sûrement eu des rencontres fort tumultueuses dans les bureaux d’Apple …

    1. Salut Pierre et merci de ton commentaire, j’apprécie. En effet, le iPhone était un risque, mais que je crois calculé. Si tu regardes le film sur BlackBerry, tu y verras pourquoi ils ont coulé et que Apple a pris la place. Au-delà du clavier, nous amorçions une transition de l’utilisation cellulaire à la minute vers les données, chose que BlackBerry ne semble pas avoir vu venir.

  4. La souris magic mouse de Apple sortie en magasin est un véritable flop. Il faut la charger en dessous et elle ne peut alors être utilisée. Ils auraient dû mettre une prise sur les côtés.

    1. Bonjour M. Rousseau. Au-delà d’une conception fort discutable, j’en ai une moi aussi, la vente de l’appareil va bon train. Par ailleurs, je dois avouer que la charge est plutôt bonne. Je l’utilise quotidiennement et la recharge environ aux 6 mois, la nuit, lorsque je dors.

Les commentaires sont fermés.