Petite histoire des interfaces graphiques – partie 1 de 3

Daniel Vinet
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Bien que j’aie annoncé cette série d’articles en deux volets dans un article précédent, le contenu est si foisonnant qu’il m’a fallu le diviser en trois parties afin de couvrir le mieux possible la petite histoire des interfaces graphiques.

L’interface graphique, ou GUI de l’anglais Graphical User Interface, est un élément essentiel ayant mené à la démocratisation de l’informatique au grand public. Dans cette série de trois articles, je vous propose de visiter l’histoire de ces interfaces graphiques et leurs variantes.

Dans cette première partie, nous verrons la naissance de celles-ci ainsi que l’histoire quelque peu tumultueuse pour les deux principales interfaces graphiques chez Apple et Microsoft.

L’utilisation de l’informatique n’a pas toujours été aussi facile. Avant la naissance des interfaces graphiques que nous utilisons quotidiennement, telle que Microsoft Windows ou macOS, il fallait connaître toute une série de commandes que nous devions taper ardemment et savoir en déchiffrer le résultat. La souris n’était pas encore démocratisée. Il fallait savoir naviguer à travers l’arbre des dossiers du système à l’aide de commandes.

Pour vous donner une idée, voici ce à quoi nous étions confrontés; une simple page noire avec du texte, tantôt vert, tantôt ambré, mais sûrement pas très coloré :

Celle-ci existe toujours sur votre ordinateur, cette base de fonctionnement n’a que très peu changé. Si vous êtes curieux d’essayer, sur votre ordinateur équipé de Windows :

  • Utilisez les touches  + R,
  • Dans la fenêtre qui surgit, inscrivez CMD, puis tapez la touche « Entrer ».
  • Dans la fenêtre qui apparaîtra, inscrivez DIR, (pour directory) puis la touche « Entrer ».
  • Vous obtiendrez un résultat similaire à celui affiché ci-haut.

Cette commande liste les fichiers et dossiers présents sur votre ordinateur. Bravo, vous venez d’apprendre votre première commande MS-DOS (Microsoft Disk Operating System). Comme toute autre application, vous n’avez qu’à cliquer sur le « X » en haut à droite de la fenêtre pour la fermer.

Vous en conviendrez, cette interface, dite en « ligne de commande », n’est pas très conviviale ni intuitive à l’utilisation. Heureusement, les interfaces graphiques sont venues sauver la donne.

Naissance de l’interface graphique

Outre la première interface cliquable avec souris inventée en 1968 et que nous avons vu lors de mon précédent article, le Sketchpad inventé en 1963 par l’ingénieur en informatique américain Ivan Sutherland, dans le cadre de sa thèse au MIT, est considéré comme la première interface personne-machine.

Ian Sutherland et le Sketchpad

En plus d’une interface graphique, le Sketchpad permettait le travail de formes géométriques à l’écran à l’aide d’un crayon optique, une autre invention récente de l’époque. De ce fait, il est considéré comme le précurseur des logiciels de conception assistée par ordinateur (CAO).

Avançons un peu dans le temps pour nous retrouver à Palo Alto en Californie, site du laboratoire Xerox PARC (Palo Alto Research Center), fondé en 1970 par, entre autres, d’anciens étudiants et collègues de Douglas Engelbart (voir mon article précédent). À l’époque, ce laboratoire est une véritable fourmilière de cerveaux travaillant à repousser les limites de l’informatique. Nous devons beaucoup de créations à ce laboratoire, telles que l’interface graphique que nous connaissons aujourd’hui, l’icône informatique, le fameux principe WYSIWYG (What You See Is What You Get) popularisé dans les années 90, et bien d’autres inventions.

Le PARC est à l’origine du Xerox Alto. Créé en 1973, cet ordinateur est le premier à utiliser le terme de « bureau » pour désigner la base de son interface graphique. Il était essentiellement un outil de recherche pour ce qui allait devenir la série Xerox Star, commercialisée de 1981 à 1985. Le Xerox Alto a été produit à environ 2000 exemplaires et utilisé exclusivement chez Xerox et dans quelques universités, la haute direction de Xerox ne croyant pas en la viabilité commerciale de ce type d’invention.

Interface graphique du Xerox Allto

Steve Jobs et Bill Gates, de petits futés bien allumés !

Il y a plusieurs variantes qui circulent concernant l’histoire de l’interface graphique chez nos deux protagonistes de l’informatique moderne. Toutefois, après quelques recherches, voici ce qui semble être la vraie histoire derrière Microsoft Windows et le Macintosh d’Apple.

Voyant qu’ils auraient des difficultés à commercialiser leurs créations sous je joug d’une administration archaïque chez Xerox, les décideurs du Xerox PARC ont déterminé qu’il serait plus judicieux de s’adjoindre une jeune compagnie plus agile et dynamique qui connaissait déjà du succès avec ses ventes d’Apple II. Toutefois, plusieurs employés chez Xerox n’étaient pas d’accord de dévoiler ses technologies à un petit génie comme Steve Jobs. D’ailleurs, Jobs lui-même était plutôt sceptique. Ce sont des employés d’Apple qui, après quelques visites au Xerox PARC, ont insisté et ont fini par convaincre Jobs d’effectuer également cette visite.

Après des négociations et une entente signée impliquant un dévoilement de technologies en échange d’actions Apple, Steve Jobs a finalement visité le Xerox PARC. Lors de cette visite et selon ses dires, trois technologies lui furent présentées; l’interface graphique, la programmation orientée objet et un réseau d’ordinateurs. Jobs a été tellement obnubilé par la première, qu’il a à peine remarqué les deux autres. De ses propres aveux, bien que ce qu’il avait vu était imparfait, les germes d’un avenir prometteur y étaient et en 10 minutes il avait déjà compris le potentiel énorme d’une interface graphique qui, toujours selon ses dires, seraient la façon d’utiliser tout ordinateur dans l’avenir. Vous trouverez un cours vidéo ici en anglais d’une rencontre de 2011 où Larry Tesler, ancien VP des technologies chez Apple, mais au Xerox PARC à l’époque des événements, raconte sommairement l’histoire.

Peu importe les tractations et accusations de toutes sortes, l’ordinateur Lisa d’Apple, sorti en 1983, fut la première implémentation d’Apple d’une interface graphique commercialisée à grande échelle. Toutefois, celui-ci fut un lamentable échec principalement dû à son coût élevé, soit environ 10 000$ américains, ce qui était tout de même 7 000$ de moins que le Xerox Star, ainsi qu’aux performances discutables du système d’exploitation Lisa OS.

Apple Lisa

Cet ordinateur n’a été produit qu’une seule année, remplacé par le Macintosh qui lui, vendu à la moitié du coût d’un ordinateur Lisa, fut un réel succès. Il faut savoir que Xerox et Apple ne visaient pas la même clientèle, la première étant davantage axée sur l’entreprise, alors que la seconde visait un marché grand public.

Apple Macintosh (1984)

Pour ceux que ça intéresse, Apple, en collaboration avec le Computer History Museum, a rendu public le code source du système d’exploitation Lisa OS dans le cadre du 40e anniversaire de l’appareil. Vous pouvez télécharger ce code sur cette page.

Lisa OS

De l’autre côté, Bill Gates n’est pas en reste. Ayant reçu un prototype du Lisa, puis du Macintosh afin d’y produire les logiciels Word et Multiplan, ce dernier deviendra Excel, Gates a également compris le potentiel énorme de l’interface graphique. Ayant embauché deux pointures du Xerox PARC début 80, il livre une première version de Windows en 1985.

Windows 1.01

Toutefois, Gates est limité par le matériel qu’il ne contrôle pas au contraire d’Apple qui sélectionne judicieusement les composants pour produire l’ordinateur, puis le système d’exploitation qui y sera parfaitement adapté. Microsoft doit donc livrer Windows 1 à même MS-DOS. Il s’agit d’un simple programme lancé comme tout autre logiciel. Il supporte la souris, mais demeure encore loin de ce que produit Apple.

Toutefois, Steve Jobs, ne voulant pas se faire voler l’idée de son interface graphique, avait signé une entente avec Bill Gates afin de ne pas produire une telle interface. Or, cette entente se terminait en 1983. Suivant cette date, Gates avait tout le loisir de faire ce qu’il voulait. Jobs ne l’entendait pas de cette façon.

Si la version 1 de Windows n’inquiétait pas outre mesure Jobs, la version 2 a donné naissance à une poursuite d’Apple contre Microsoft que cette première a perdue. Il faut également savoir que le principal compétiteur auquel s’attaquait Apple à l’époque était IBM, non pas Microsoft. Ce n’est que plus tard que Jobs a compris la menace que représentait Gates et son entreprise Microsoft.

Cet épisode a donné lieu à un échange célèbre entre les deux hommes, Jobs accusant Gates d’avoir agi comme « un voleur qui entre chez vous pour voler le téléviseur. » Gates a alors répondu cette célèbre phrase : « Je pense que c’est plus comme; nous avons tous les deux ce voisin riche nommé Xerox et que je suis entré dans sa maison pour voler le téléviseur et découvrir que vous l’avez déjà volé. »

Ici se termine cette première partie. Dans la seconde, nous verrons la variété et l’originalité de quelques-unes des interfaces graphiques au fil du temps. Certaines sont plutôt surprenantes. À suivre…

Daniel Vinet

17 réflexions sur « Petite histoire des interfaces graphiques – partie 1 de 3 »

  1. Précisions sur les variétés DOS !

    La petite histoire derrière les stratégies commerciales de Bill Gates qui a acheté un système d’exploitation QDOS (Quick & Dirty Operating System), l’a fait modifié rapidement et en quelques jours a vendu une licence générale à IBM pour ses PC (PC-DOS) tout en retenant ses propres droits. Voir le lien ci-dessous.

    À part du D = Dirty dans l’acronyme QDOS, le D signifie généralement D = Disk donc Disk Operating System.

    PCDOS étant la version IBM et MS-DOS la version Microsoft.
    QDOS la version de la compagnie DRI (propriétaire initial)

    https://spectrum.ieee.org/did-bill-gates-steal-the-heart-of-dos#toggle-gdpr

  2. Avant le 7e jour de la création du PC et de son DOS, il y a eu le micro-ordinateur Altair 8800 en 1974 avec du Altair Basic et son simple clavier et une imprimante télétype. En 1977 arrive le Altair DOS annoncé en 1975.

    Mais un système d’exploitation plus simple CP/M fut plus populaire comme plateforme d’abord dans quelques produits Xerox. On le retrouva sur plusieurs micro-ordinateurs dont Apple, DEC et Commodore.

    Vraiment l’âge des cavernes en informatique mais tout à fait passionnant !

    1. Juste une précision importante quand j’ai mentionné l’âge des cavernes, je pensais pas vraiment à l’informatique seulement mais plutôt à l’informatique appliquée aux ordinateurs personnels.

      1. Bonjour Robert. Merci de tes commentaires. Effectivement, il y aurait à raconter sur le DOS et les manigances de Gates, mais comme cette série vise les interfaces graphiques, ce sera pour un prochain article.

  3. Quel article intéressant! Félicitation à monsieur Vinet pour ses recherches. J’ai moi même vécu cette époque et je peux ajouter que la principale critique de l’interface du Mac à ce moment là était l’absence de couleur. On peut d’ailleurs facilement le constater ici. Merci pour ce fabuleux texte tout à fait conforme à mes souvenirs. Parfois, ça nous fais du bien de resasser le passé.

  4. Excellente intro. J’ai hâte à la suite. Retour en arrière sur ma propre carrière d’informaticien.

  5. Merci! Très intéressant à lire.
    Vous utilisez un langage facile à comprendre.
    J’ai hâte à la deuxième partie.

  6. Superbe partie 1 ! Bravo ! Le reste promet !

    Ceci réveille ma vieille mémoire de MS-DOS et la version IBM PC-DOS d’IBM provenant des projets de Bill Gates.

    Je maitrisais par cœur toutes les commandes DOS. De plus, je scriptais des fichiers .BAT dont le fameux AUTOEXEC.BAT qui contenait un mot de passe requis au démarrage. Mon surnom au bureau était RLAP car j’utilisais des combinaisons de mots de passe contenant RLAP dans mes PC comme RLAPBOB123.

    C’était le temps des cavernes numériques !
    Plusieurs membres du CIMBCC furent des témoins très motivés et actifs de l’époque.

    Je regrette d’avoir jeté mon premier IBM PC compatible PANAMA d’une société de Pointe Claire, QC. Et ce, de même pour mon premier Macintosh.

    1. Bonjour M. Lapointe,

      Je savais que vous aviez des connaissances de « pointe » mais je ne savais que vous aviez aussi un sens de l’humour assez aiguisé.

      Vous faisiez référence à Ogivar fondé par Jaimé Benchimol (https://en.wikipedia.org/wiki/Ogivar )à qui nous avions demandé de nous prêter 6 ordinateurs Panama XT pour nous familiariser avec les ordinateurs de bureau.

      Puis ce fut la discussion Mac ou PC. PC l’a remporté en raison de l’énorme différence de prix et la disponibilité de logiciels de bureautique fonctionnels comme Wordperfect 4.1, Lotus 123, RB5000 pour la base données et autres logiciels graphiques dont les noms m’échappent. Puis j’ai eu la tâche de former les premiers utilisateurs, plus d’une centaine.

      Merci M. Vinet pour ce beau rappel.

      1. Bonjour, monsieur Galant,
        Merci de vos renseignements. Je ne me rappelais plus du nom Ogivar. Merci ! Effectivement je me rappelle du Panama modèle XT avec disque dur que je suis allé chercher moi-même à Ville Saint-Laurent. Dans ma note, je me suis mêlé avec Comterm de Pointe-Claire dans le domaine des terminaux de loterie. Toute une époque.

      2. Bonjour et merci M. Gallant. Effectivement, vous m’avez remémoré les Ogivar. Il y a eu aussi l’épisode Comterm Matra au Québec qui n’a pas été jojo.

    2. Tu me rappels des souvenirs également, le scripting de BAT était la façon facile d’aider les gens à utiliser leurs logiciels.

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