Une nième réflexion sur les types de licence pour les logiciels

Daniel Vinet
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Il y a certains sujets qui sont intarissables en informatique. L’un de ceux-ci concerne le type de licence associée aux logiciels que nous utilisons, soit le logiciel libre, l’achat unique ou la location. Au Club, cette question a fait l’objet de deux articles que vous retrouverez ici et ici, ce dernier visant spécifiquement les suites bureautiques.

Ce questionnement revient à chaque fois qu’une entreprise change son modèle d’affaires ou, plus simplement, qu’elle est acquise par une autre firme dont le modèle d’affaires diffère de celle-ci.

Les exemples Adobe et Microsoft

Parmi les exemples, les plus anciens passionnés d’informatique d’entre nous se souviendront d’Adobe qui, en 2011, a décidé de passer d’un modèle de licence perpétuelle à un modèle uniquement locatif via Adobe Creative Cloud.

Je me souviens qu’à l’époque les critiques fusaient de toutes parts, les produits Adobe jouissant d’une position dominante sur le marché avec Photoshop pour l’édition de photos, Premiere Pro pour l’édition vidéo et Dreamweaver pour la production de sites Internet.

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De ce fait, les utilisateurs se sont sentis coincés. Je me souviens qu’à l’époque, plusieurs magazines spécialisés avaient publié des articles proposant des alternatives aux nombreux produits d’Adobe, soit en logiciel libre, soit en achat unique. Toutefois, aucun produit ne semblait à la hauteur de ceux d’Adobe d’où le nœud gordien pour les utilisateurs.

D’autre part, en 2010, Microsoft est également passée d’un modèle de licence perpétuelle à un modèle locatif avec Office 365, devenue Microsoft 365 en 2017. Toutefois, Microsoft n’a pas cessé d’offrir l’achat unique, offrant ainsi le choix aux consommateurs. Il en sera de même pour Office 2024 prévu plus tard cette année.

En ce qui me concerne…

Personnellement, je suis un fervent défenseur du logiciel libre et du logiciel à acquisition unique. Je déteste le concept d’abonnement où nous devons payer sans ne jamais rien posséder. Et si nous cessons de payer, nous n’avons plus rien sauf nos fichiers produits que nous devrons importer dans une autre solution, lorsque c’est possible.

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Dans la catégorie abonnement, je n’en dispose que d’un seul, soit Antidote, un logiciel québécois de correction grammaticale et d’orthographe comprenant plusieurs dictionnaires. Il y a quelques années, la firme Druide Informatique, créatrice d’Antidote, est passée d’un modèle à achat unique à un modèle par abonnement.

Comme il s’agit d’un outil et qu’aucun document n’est produit avec ce dernier, j’ai accepté d’adhérer à cet abonnement. Ma logique est la suivante : est-ce que la location d’un logiciel me rend dépendant d’un fournisseur dans la production de mes fichiers et documents ? Dans le cas présent, que je sois abonné ou non à Antidote ne change strictement rien à mes fichiers et documents.

Une nouvelle situation se présente

Le 26 mars dernier, j’ai été replongé dans cette problématique avec l’acquisition par l’entreprise australienne Canva de la compagnie Serif dont je possède les trois principaux produits : Affinity Photo, Publisher et Designer.

Affinity Photo

Canva est une entreprise offrant un logiciel de conception graphique en ligne qui fonctionne par abonnement. Elle dispose d’une base d’environ 135 millions d’utilisateurs dans le monde. Serif, beaucoup plus modeste, offre ses logiciels en licence perpétuelle.

Le communiqué initial du président de Serif, sous format vidéo, mentionnait qu’aucun changement au mode de licence n’était prévu…. « pour le moment ».

Voilà, tout était dit, ce dernier segment était de trop et la base des utilisateurs qui ont fait de Serif ce qu’elle est aujourd’hui, est montée aux barricades à un point tel que les deux entreprises ont dû émettre un second communiqué dès le lendemain afin de clarifier l’imbroglio. Ceci a pris la forme d’un nouveau communiqué, écrit cette fois, avec quatre engagements de la part des deux entreprises.

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Il ne faut pas se le cacher, lors de leur sortie, les produits Affinity ont bénéficié d’une clientèle réfractaire au concept d’abonnement, plusieurs clients ayant rejeté le modèle d’Adobe, mais cherchant une solution professionnelle et viable.

Aujourd’hui, ces mêmes personnes se sentent trahies. En lisant les nombreux commentaires des utilisateurs, je constate que, pour la plupart, ce n’est qu’une question de temps avant que le mode de licence soit changé en abonnement. L’histoire semble souvent condamnée à se répéter.

Ces utilisateurs sont déjà à la recherche de nouvelles solutions et les logiciels libres sont bien présents cette fois. D’ailleurs, il existe d’excellents produits pouvant répondre aux besoins :

Type de logiciel Produit Affinity Équivalent Libre
Éditeur photo Affinity Photo GIMP
Éditeur d’image vectorielle Affinity Designer Inkscape
Éditeur de publication assisté (PAO) Affinity Publisher Scribus

Par ailleurs, le logiciel GIMP a fait l’objet d’un article de Pierre Delisle ainsi qu’une série d’ateliers qui se sont déroulés cet hiver. Ce logiciel libre jouit d’une solide réputation de par sa qualité et sa fiabilité acquise au fil des années, la première version remontant à 1995.

Avantages et inconvénients des deux modèles payants

Le modèle par abonnement

Pour les entreprises, le modèle par abonnement représente un avantage indéniable puisqu’il assure des revenus fixes et réguliers. Pour le consommateur, ce modèle est moins avantageux puisqu’il doit payer constamment pour bénéficier du produit sans jamais le posséder.

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De plus, le fait de produire des documents avec ces solutions instaure un cercle vicieux, puisqu’il faut avoir accès au produit pour ouvrir nos fichiers et donc demeurer abonné. Certes, dans la plupart des cas, il existe des solutions de transfert d’un produit à l’autre. Ce n’est pas parfait, mais cela fonctionne généralement bien.

Afin de compenser cette perte, les entreprises offrent des mises à jour régulières afin de faire évoluer le produit, mises à jour qui ne sont généralement pas offertes aux utilisateurs de licence unique. Par exemple, je pense à Microsoft Office ou des nouveautés sont régulièrement introduites.

Le modèle à licence perpétuelle

D’un autre côté, les entreprises fonctionnant sous le modèle à achat unique reçoivent une importante entrée d’argent lors du lancement du produit. Puis, les ventes s’essoufflent tranquillement au fil du temps.

Pendant ce temps, l’entreprise vit sur ses revenus générés des ventes pour produire une nouvelle version. Ce modèle induit une pression constante à l’entreprise qui se voit limitée dans le temps entre deux versions, en fonction du succès des ventes de la précédente version.

Du côté utilisateur, ce modèle est plutôt avantageux. L’acquisition se fait une fois. Parfois, il y a des mises à jour régulières, je pense entre autres aux produits Affinity mentionnés ci-haut. D’autres fois, il n’y en a pas, par exemple, Microsoft Office. Seules des mises à jour concernant la sécurité et les corrections de bogues sont émises.

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Par exemple, je possède une licence en achat unique de Microsoft Office 2021. La fin de soutien prévue pour le produit est le 13 octobre 2026. Je recevrai donc les mises à jour concernant la sécurité du produit ou la correction de bogues jusqu’à la date indiquée.

Une fois cette date passée, je peux continuer à utiliser le produit sans problème et sans aucun frais, le temps qu’il fonctionne sous Windows ou sous macOS, au fil des versions ou que la suite devienne trop dépassée par rapport à la version courante.

L’histoire nous a démontré que ces deux facteurs peuvent prendre plusieurs années. Je prévois donc avoir la tête tranquille jusqu’en 2030. Côté sécurité, je ne vois pas de compromission étant une personne plutôt alerte sur le type de documents que je télécharge. Pas mal pour un produit qui m’a coûté 90 $ une seule fois.

Et le logiciel libre, lui ?

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Aujourd’hui, nous avons accès à une panoplie impressionnante de logiciels libres de qualité, et ce, dans tous les domaines d’activité. À ce titre, voici un petit palmarès non exhaustif de solutions disponibles actuellement en logiciel libre :

Besoin Produit en logiciel libre
Suite bureautique complète LibreOffice
Édition audio Audacity
Enregistrement et streaming vidéo OBS Studio
Édition Vidéo Davinci Resolve
Édition photo GIMP
Édition d’image vectorielle Inkscape
Publication assistée par ordinateur (PAO) Scribus
Dessin artistique Krita
Édition d’environnement 3D Blender
Lecteur audio et vidéo VLC
Gestion de livres numériques Calibre
Vidéoconférence Zoom

Bien sûr, il faut garder en tête que les personnes qui travaillent sur ces solutions le font souvent à titre de bénévole. Il est donc important d’encourager financièrement ces solutions si nous voulons qu’elles continuent d’exister.

Ces produits vous sont offerts librement et sont régulièrement mis à jour sans aucuns frais. Ils offrent généralement d’un site Internet où il est possible de rapporter des bogues ou de demander de nouvelles fonctionnalités. Le contact entre utilisateurs et développeurs est aisé, ces derniers n’ayant pas la lourdeur structurelle d’une entreprise comme Microsoft ou Adobe, les réponses sont obtenues rapidement.

En ce qui concerne les formats de fichier, il est important de savoir que la plupart des solutions offertes en licence libre permettent l’importation et l’exportation vers des formats commerciaux connus. Par exemple, la suite LibreOffice permet l’exportation et l’importation des formats de fichiers Microsoft Office.

En conclusion

Avant de procéder à un choix de logiciel, il est judicieux d’évaluer correctement nos besoins, ce que nous comptons en faire et avec qui nous voulons partager les documents créés. Ceci permet d’orienter le choix que nous ferons.

En ce qui concerne le type de licence, soit libre, acquise ou par abonnement, bien entendu, comme consommateurs et utilisateurs de technologies, il vous revient d’effectuer un choix qui correspond à vos convictions et à vos besoins.

Daniel Vinet

11 réflexions sur « Une nième réflexion sur les types de licence pour les logiciels »

  1. Bravo Daniel, excellent ton article.

    Très beau travail de réflexion sur le sujet. Comme les besoins et les finances de chacun sont différents , tout le monde trouve se compte dans l’une ou l’autre formule. Bien sûr que l’abonnement mensuel choque plusieurs, alors des professionnels sont prêts à payer mensuellement pour des versions mises à jour sur une base régulière.

    À chacun son choix.

  2. Merci Daniel!
    Excellent article, encore! Inutile de dire que j’encourage fortement le logiciel libre lorsqu’on acquiert un logiciel dans un nouveau domaine.
    Comme toi, pour la suite Office, plus compliqué d’utiliser le libre car nous travaillons avec des collègues et c’est plus simple lorsque tous utilisent le même logiciel, certaines fonctionnalités ne fonctionnant pas de la même façon lorsqu’on a l’équivalent libre (ex,: PowerPoint, Excel …).
    Je retiens ta suggestion pour le montage vidéo. Je ne connais pas Davinci resolve. Dans le libre, j’utilise Shotcut.
    Je sais que tu ne voulais pas alourdir ton article, mais Il faut également faire la différence entre logiciel libre et logiciel gratuit. Zoom peut être un logiciel gratuit, mais si nous voulons plus de fonctionnalités, il faut payer (comme la licence qu’a le club). Souvent, la partie libre d’un produit n’est qu’une forme de « teaser » pour présenter une version simpliste d’un logiciel afin de le faire acheter si l’individu veut progresser. Et, selon moi, c’est un modèle d’affaire tout à fait correct, si l’utilisateur en est avisé d’es le départ.

    1. Bonjour Pierre. Effectivement, ton commentaire est tout à fait pertinent dans le contexte. Merci de ton appréciation et du complément d’information.

  3. Bravo et merci pour cette chronique très importante et enrichissante, Daniel. Je fais moi aussi partie du club des défenseurs de la propriété, ainsi que des logiciels libres.
    Je suis fière des utilisateurs de Serif (que je ne connnaissais pas puisque peu enclin à la production graphique), qui se sont levés aux barricades et ont fait plier l’entreprise, afin de garder la licence « achetable ».
    Mon logiciel d’impôt est un logiciel libre (StudioTax), dont je faisait un don de 20$/annuel, jusqu’à l’année dernière, alors que StudioTax a dû imposer un prix: 15$. Donc, ça me coûte moins cher depuis que StudioTax le vend!
    J’ai fait de même pour la plateforme WordPress, qui est gratuite et soutenu par des bénévoles, mais qui accepte volontier les dons.

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